La constitution haïtienne du 29 mars 1987 amendée le 09 mai 2011 dévolue la souveraineté nationale à trois (3) pouvoirs indépendants. Au terme de l’article 59 de cette constitution il est dit : « les citoyens délèguent l’exercice de la Souveraineté Nationale à trois pouvoirs, le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire.
Le principe de la séparation des trois (3) pouvoirs est consacré par la constitution qui fixe les attributions de chaque pouvoir.
En ce qui concerne le pouvoir judiciaire, l’article 173 de la constitution stipule : Le pouvoir judiciaire est exercé par une Cour de Cassation, les Cours d’Appel, les Tribunaux de Première Instance, les Tribunaux de Paix et les Tribunaux Spéciaux dont le nombre, la composition, l’organisation, le fonctionnement et la juridiction sont fixés.
L’exercice du pouvoir judiciaire et la composition de la magistrature se trouve aussi définie dans le décret du 22 aout 1995 et la loi de décembre 2007 portant statut de la magistrature, dans l’article premier de cette loi il est dit clairement que Le Pouvoir Judiciaire indépendant des Pouvoirs Exécutif et Législatif est exercé par la Cour de Cassation, les Cours d’Appel, les Tribunaux de Première Instance, les Tribunaux Spéciaux et les Tribunaux de Paix.
ORGANISATION
Le fonctionnement des tribunaux de paix relève du décret de 1995 sur l’organisation judiciaire en Haïti et la loi de 2007 portant Statut de la Magistrature. En effet, l’article 81 du décret présidentiel du 22 aout 1995 modifiant la loi du 18 septembre 1985 relative à l’organisation judiciaire haïtienne indique qu’il « y a au moins un tribunal de paix dans chacune des communes de la République ».
Le décret du 22 aout 1995 portant organisation du pouvoir judiciaire place la justice de paix dans le niveau le plus bas dans la hiérarchie judiciaire. On l’appelle communément la justice de proximité parce qu’il est accessible à tous les justiciables. Il y a au moins un tribunal de paix dans chaque commune de la République. Certaines villes en comptent deux, trois dépendant de sa taille et de sa population. Ainsi, il y a environ 189 tribunaux de paix dans toute la République.
Chaque tribunal de paix est composé d’un juge, d’un ou de plusieurs suppléant et d’un ou de plusieurs greffiers. Cependant, dans les tribunaux de paix de première et de deuxième classe, un ou plusieurs juges suppléants, un ou plusieurs greffiers peuvent être nommés selon les besoins du service. (Art. 82 du décret susvisé).
COMPETENCE
‟La Compétence se définit comme le pouvoir, le droit qu’un tribunal ou un juge a de connaitre de telle ou telle matière, de telle ou telle cause.‟ ce pouvoir généralement prévu et défini par la loi indique au tribunal ou au juge, de connaitre ou de ne pas connaitre de telle affaire portée
devant lui. la compétence se distingue en fonction de la matière, c’est la compétence ratione materie, en fonction de la personne, dans ce cas on parle de compétence ratione personae, et en fonction du lieu, c’est la compétence ratione loci.
La compétence matérielle de la justice de paix s’étend aussi bien pour les affaires civiles, commerciales ou pénales. Le juge de paix est appelé à connaître des affaires de peu d’importance. Ses attributions lui sont conférées par les articles 1er et 60 du Code de procédure civile.
En outre, au terme de l’article 34 de la loi portant statut de la Magistrature : Les Juges de Paix, dans leur activité juridictionnelle, sont des Juges et à ce titre indépendants. Leurs attributions en leur qualité d’Officiers de Police Judiciaire relèvent de la Loi.
Le juge de paix a une double fonction.
A- En matière civile, il est juge à part entière Il est compétent pour toutes affaires personnelles, mobilières dont la valeur n’excède pas 5 000 gourdes, selon l’article 84 du décret du 22 août 1995. Mais il est également compétent pour toutes les affaires personnelles et mobilières dont la valeur n’excède pas 25 000 gourdes. Dans ce cas, il juge en premier ressort, c’est-à-dire à charge d’appel.
Cela revient à dire que l’appel de cette décision doit être interjeté par-devant le tribunal de première instance, statuant en ses attributions d’appel des sentences de justice de paix, conformément aux dispositions de l’article 352 du Code de procédure civile.
En matière possessoire le juge de paix a compétence exclusive pour statuer sur :
a) les cas de complainte, c’est-à-dire lorsque le possesseur est troublé dans sa possession;
b) les cas de dénonciation de nouvel œuvre, c’est-à-dire l’action par laquelle il dénonce les travaux de construction entrepris susceptibles de nuire à la propriété qu’il occupe à titre de maître.
C) les cas de réintégrande, c’est-à-dire lorsque le possesseur est chassé par violence ou voies de fait, dans ce cas, le juge de paix peut ordonner la réintégration du possesseur tout en condamnant l’auteur des voies de fait ou de violence à la contrainte par corps, conformément aux dispositions de l’article 1826 du Code civil.
Néanmoins, l’action possessoire pour être recevable par devant le juge de paix doit être introduite dans l’année du trouble. Sinon, l’action est réputée irrecevable.
Il a également la compétence exclusive en matière de validation de congé de location, quel que soit le montant du bail. En matière de loyer, la seule façon de mettre un terme au bail non écrit c’est par le congé de location. C’est une faculté qui appartient tant au bailleur qu’au preneur. S’il ‘agit d’une maison louée à des fins d’habitation, le congé varie entre deux et quatre ans. Si elle est à des fins commerciales, ou industrielles, le congé de location varie entre 3 et 5 ans. Mais pour bénéficier dudit congé le locataire doit continuer à s’acquitter des redevances locatives.
En matière civile ou commerciale, les tribunaux de paix connaissent, en dernier ressort, de toutes actions personnelles ou mobilières jusqu’à la valeur de cinq mille gourdes et à charge d’appel, de toutes celles ne dépassant pas vingt-cinq mille gourdes.
Ils connaissent, en outre, mais seulement à charge d’appel :
B-
1) des déplacements de bornes des entreprises sur les cours d’eau commis dans l’année, des complaintes et autres actions possessoires fondées sur des faits également commis dans l’année;
2) des congés;
3) des demandes en résiliation de baux fondées soit sur le défaut de paiement des loyers et fermages, soit sur l’insuffisance des meubles garnissant la maison ou des bestiaux et ustensiles nécessaires à l’exploitation d’après les articles 1523 et 1536 du Code civil, soit enfin sur la destruction de la chose louée, comme prévu par l’article 1493 du Code civil;
4) des expulsions de lieux :
a) lorsque le bail est expiré,
b) conformément à la législation sur les loyers,
c) dans les cas expressément déterminés par la Loi. Dans tous les cas d’expulsions de lieux, l’appel n’est pas suspensif
5) des demandes en validité et en nullité ou mainlevée de saisie pratiquée en vertu des articles 773 et 774 du Code de procédure civile, ou de saisie revendication portant sur des meubles déplacés sans le consentement du propriétaire dans les cas prévus aux articles 1869, 1er alinéa du Code civil et 773 du Code de procédure civile.
6) de toutes manières qui leur sont attribuées par des lois spéciales.
En matière pénale, il est également juge a part entière, mais lorsqu’il connait ou qu’il traite les cas de contravention. En matière de contravention, le juge de paix est le seul compétent. D’ailleurs, l’article 125 du Code d’Instruction Criminelle précise : «La connaissance des contraventions est attribuée au juge de paix qui jugera seul comme tribunal de police.» Donc, en matière de contravention, il n’y a pas de détention préventive. Dans la majorité des cas, le juge de paix ne condamne qu’à l’amende. La contravention est une faute légère
Cependant lorsqu’il est saisi d’un cas réputé crime ou délit, il se transforme en officier de police judiciaire, auxiliaire du commissaire du gouvernement et se conforme au vœu des articles 12 et suivant et l’article 42 du code d’Instruction Criminelle (CIC) qui l’oblige à déférer les cas de crime et de délit au commissaire du gouvernement. Notons que le juge de paix se transporte sur les lieux comme officier de police judiciaire pour y dresser le procès-verbal. En cas de flagrant délit, le juge de paix peut poser tous les actes qui sont de la compétence du commissaire du gouvernement.
La compétence ratione personae et compétence ratione loci s’étendent tout comme la compétence materiae aux affaires, commerciale et pénales et prennent en compte la qualité des parties qui se présente par devant le tribunal saisi et la question du lieu considéré.
En matière pénale, le tribunal compétent est le tribunal du lieu de l’infraction. Donc le tribunal compétent est le tribunal où l’infraction a été commise. Ainsi, le juge de paix exerce sa compétence dans la juridiction de la commune ou dans le quartier où siège son tribunal. Toutefois quelques exceptions légales permettent au juge de paix d’instrumenter hors de sa juridiction.
En effet terme de l’Article 83 du décret du 22 aout 1995, la compétence du juge de paix est territoriale, sauf :
1) dans le cas prévu par le Décret-loi du 19 mai 1937;
2) dans le cas d’empêchement simultané d’un juge de paix et de son suppléant par maladie, déplacement ou autre, l’un des juges de paix de la juridiction la plus rapprochée sera chargé immédiatement et provisoirement par le parquet compétent de l’administration du tribunal infirmé.
La loi accorde au juge de paix des compétences extra juridictionnelle
L’article 91 du décret du 22 août 1995 relatif à l’organisation judiciaire précise : «En sa qualité de juge conciliateur, le juge de paix doit s’efforcer d’arriver à l’accommodement des parties qui se présentent devant lui.»
L’article 12 du Code de procédure civile (CPC) permet au juge de paix de siéger même les dimanches et les jours fériés. Il peut le faire même chez lui moyennant que les portes de sa maison soient restées ouvertes, en vertu du principe qui veut que l’audience soit publique à peine de nullité. Il faut souligner que cette possibilité ne lui est pas offerte en matière pénale. Car il ne peut pas transformer sa résidence en garde à vue
Tout compte fait, le tribunal de paix est très fréquenté par les justiciables en raison du rôle qu’il est appelé à jouer au sein de la société comme justice de proximité.
En toute matière, le juge de paix (ou son suppléant) juge seul.
PROCEDURE
En matière pénale, le juge de paix est saisi
1- par une plainte émanant de la victime
2- Par la dénonciation faite par un ou des individus informé (s) ou témoins d’un fait
Si le fait dont il est saisi est une contravention, le juge siège en sa qualité de juge de simple police et rend sa sentence. Dans ce cas, le juge peut délivrer une cédule à la partie absente. Par contre, s’il s’agit d’un délit ou d’un crime, le juge reçoit la plainte ou la dénonciation, dresse les procès-verbaux relatifs et transmet le dossier et le prévenu (s’il y en a) par devant le commissaire du gouvernement dans le délai de 72 heures au plus tard selon l’article 12, 42 du Code d’Instruction Criminelle
En matière civile, le juge est saisie sur la base d’une citation faite de la partie demanderesse à celle défenderesse. Au jour fixé dans la citation, l’affaire une fois enrôlée au greffe du tribunal, le juge prend siège et entend l’affaire jusqu’à épuisement de la cause sanctionnée par le prononcé de son délibéré.
Il faut préciser qu’au tribunal de Paix, les audiences sont publiques.
Toutefois, la justice de paix, malgré sa dénomination de justice de proximité, n’arrive pas pleinement à répondre aux besoins de tous les justiciables et des justiciables se trouvant en milieu rural qui confrontent beaucoup de difficultés pour rendre au tribunal le plus proche.
Source : Mémoire « Etude sociologique des cas les plus courants traités au tribunal de paix au regard des ses attributions. Cas des Tribunaux de Paix de Grand-Goâve et Petit Goâve de 2010 à 2020»
Me Joseph Gaston LORMIL